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"Le Chant du peuple juif assassiné"
Itzhak Katzenelson,
Camp de Vittel, octobre 1943
La peur, langoisse, la terreur horrible menserrent étroitement.
Les wagons sont là, de nouveau !
Partis hier soir, et de retour aujourdhui, ils sont là, de nouveau là,
sur le quai.
Tu vois leur gueule ouverte ?
La gueule ouverte dans lhorreur !
Ils en veulent encore !
Encore, de nouveau. Rien ne les rassasie.
Ils sont là, ils attendent les Juifs.
Quand les apporte-t-on ?
Affamés comme sils navaient encore jamais englouti leur Juif...
Jamais... Mais oui ! ils en veulent encore, toujours plus.
Ils en veulent encore.
Ils sont là, attendant quon leur prépare la table,
Quon serve le repas, quon serve des Juifs autant quil en pourra entrer.
Des Juifs !
Vieux peuple aux enfants tout jeunes, jeunes et frais,
Grappes jeunes sur un vieux cep ;
et des vieillards comme le vin fort est vieux.
Ils étaient pleins pourtant, gavés, étouffés de Juifs !
Les morts debout, serrés, coincés entre les vivants,
Les morts debout sans toucher le sol à force dêtre serrés,
Sans que lon puisse voir dans la masse lequel est mort et lequel est vivant.
La tête du mort, comme une tête vivante, se balançait de-ci de-là,
Et sur le vivant coulait déjà la sueur de la mort.
Lenfant réclame à boire à sa mère, morte, une goutte deau,
Il lui frappe la tête de ses petites mains, pleurant parce quil a chaud.
Wagons vides ! Vous étiez pleins et vous voici vides à nouveau,
Où vous êtes-vous débarrassés de vos Juifs ?
Que leur est-il arrivé ?
Ils étaient dix mille, comptés, enregistrés et vous voilà revenus ?
Ô dites-moi, wagons, wagons vides, où avez-vous été ?
Vous venez de lautre monde, je sais, il ne doit pas être loin :
hier à peine vous êtes partis, tout chargés, et
aujourdhui vous êtes déjà là !
Pourquoi tant de hâte, wagons ?
Avez-vous donc si peu de temps ?
Vous serez bientôt, comme moi, des vieillards,
bientôt brisés et gris.
Voir tout cela, regarder et entendre... Malheur !
Comment pouvez-vous le supporter, même faits de fer et de bois ?
Ô fer, tu étais enfoui dans la terre, profond, ô fer froid.
Et toi, bois, tu poussais, arbre sur la terre, haut et fier !
Et maintenant ? Des wagons, des wagons de marchandises
et vous regardez, témoins muets de cette charge,
Muets, fermés, vous avez vu.
Dites-moi, ô wagons, où menez-vous ce peuple,
ces Juifs emmenés à la mort ?
Ce nest pas votre faute.
On vous charge,
on vous dit : va !
On vous envoie chargés, on vous ramène vides.
Wagons qui revenez de lautre monde, parlez, dites un mot,
Faites parlez vos roues, que moi, que moi je pleure...
traduction Myriam Novitch et Suzanne Der,
Kibboutz Lahomer Haggetaoth, 1983.
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