Philosophie à vivre
INCURSION DANS LE MONDE ACAUSAL
Hubert Reeves (1984) :
Parler d'acausalité c'est évidemment prendre un risque. Un événement est dit "acausal" jusqu'à ce qu'on ait découvert sa cause. C'est à dire son appartenance au monde des causes et des effets. L'histoire des sciences c'est, en définitive, la liste des relations causales découvertes successivement entre des objets apparemment sans relation. Chaque année cette liste s'allonge: peut-être sommes-nous sur le point de comprendre l'unité des forces de la nature, ou le système de guidage des oiseaux migrateurs. Dans ce contexte qui oserait s'aventurer sur les sentiers précaires de l'acausalité?...
...Mais si nous demandons pourquoi tel atome se casse en premier et tel atome ensuite, il semble bien que nous plongions dans l'acausalité. La très grande majorité des physiciens s'accorde aujourd'hui pour dire qu'il n'y a là aucune raison de quelque nature qu'elle soit.
En d'autres mots, voilà un événement qui relève partiellement, mais pas entièrement du monde des causes. Nous savons pourquoi les atomes éclatent, mais pas pourquoi ils éclatent à un instant donné. Le moment de l'éclatement reste indéterminé. Il y a une certaine probabilité, mais aucune certitude, dans la seconde à venir, que la désintégration se produise. La charge électrique fixe le comportement général mais pas le comportement individuel...
...Une analyse plus poussée nous a menés à percevoir une influence de la matière sur elle-même, qui n'implique aucun échange d'information au sens de la physique traditionnelle. Une sorte d'omniprésence de la matière indépendamment de toute localisation et de toute vitesse, c'est à dire de l'espace et du temps.
Essayons d'aller plus loin. Ce plan acausal sous-jacent à l'existence des lois de la nature pourrait aussi sous-entendre également cette mystérieuse tendance de la matière à s'organiser et à se structurer pour acquérir des propriétés nouvelles dite "propriétés émergentes". L'histoire de l'univers nous montre la lente progression qui fait passer la matière de la simplicité à la complexité toujours croissante.
De l'état de quarks, on accède à l'état de nucléons, puis d'atomes, puis de molécules de plus en plus complexes, puis de cellules, puis d'organismes variés jusqu'à l'être humain. La conscience est, à notre connaissance, l'ultime propriété émergente de la matière qui s'organise.
Dans cette optique le plan acausal,...,serait celui sur lequel s'inscrirait la question du "sens" ou de "l'intention" dans la nature. Sur ce plan intemporel, la conscience de l'homme appartiendrait à l'univers comme inscrite dans son évolution.
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