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Poésie à vivre avec François Cheng

Avec les artistes, le shen entretient une relation de connivence. Les plus grands d’entre eux, poètes et peintres, ont affirmé que leur pinceau est «guidé par le shen». Rappelons que la tradition des lettrés, mettant poésie et peinture à la place suprême de l’accomplissement humain, ne sépare guère l’esthétique de l’éthique. Elle exhorte l’artiste à pratiquer la sainteté s’il veut que son propre esprit rencontre l’esprit divin au plus haut niveau. La langue chinoise a l’habitude d'associer au shen, «esprit divin», le sheng «sainteté». Et le mot composé shen-sheng, «Esprit divin-sainteté», est là, justement, pour désigner cet instant privilégié où le sheng de l’homme entre en dialogue avec le shen universel qui lui ouvre la part la plus secrète, la plus intime de l’univers vivant. En sorte que l’expression «résonance divine» est à entendre dans le sens de «en résonance avec l’esprit divin». L’idée qui en émane est donc d’essence musicale, la musicalité étant effectivement primordiale dans l’art chinois. Toutefois, s’agissant de la peinture et de la poésie, l’aspect visuel ne saurait être négligé; il nous faut, pour appréhender la notion de «résonance divine», faire appel à l’idée de vision et à celle de présence.

Dans une peinture, le paysage que l’artiste fait naître sous son pinceau peut être altier ou tourmenté, compact ou éthéré, nimbé de clarté ou pénétré de mystère, l’important est que ce paysage dépasse la dimension de la seule représentation et qu’il se donne comme une apparition, un avènement. Avènement d’une présence - non au sens figuratif ou anthropologique du mot qu’on peut ressentir ou pressentir, celle même de l’esprit divin. Avec toute sa part d’invisible, cette présence correspond à ce que les théoriciens chinois appellent le xiang-wai-zhi-xiang, «image par-delà les images». Elle est proche aussi de ce que la spiritualité Chan expé-rimente comme illumination. Lorsque, devant une scène de la nature, un arbre qui fleurit, un oiseau qui s’envole en criant, un rayon de soleil ou de lune qui éclaire un moment de silence, soudain, on passe de l’autre côté de la scène, on se trouve au-delà de l’écran des phénomènes, et l’on éprouve l’impression d’une présence qui va de soi, qui vient à soi, entière, indivise, inexplicable et cependant indéniable, tel un don généreux qui fait que tout est là, miraculeusement là, diffusant une lumière couleur d’origine, murmurant un chant natif de cœur à cœur , d’âme à âme.

François CHENG. Cinq méditations sur la beauté, Albin Michel, 2006, 166 p., pp.159-160.

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Venu de Chine il y a plus de cinquante ans, François Cheng, écrivain, membre de l'Académie française, décrit ainsi sa quête: "Inlassablement,
je poursuis la meilleure part des deux cultures qui me traversent."
 
 
 
 
 
 
 

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